Nouvelle 10 :
Le secret
de la bouteille
à la mer

Un jour j’ai lu La Lettre………………………. par hasard.

Pourquoi tant de mystère autour d’une Lettre majuscule

bravant le vide, ci-dessus suspendue ?

Ma foi, il est des Lettres qui se révèlent capitales,

à vous donner le vertige.

La belle affaire ! me dira-t-on, une Lettre qui entre en scène

et brave illico le danger de l’à-pic !

Certes, La téméraire du haut de la falaise s’est jetée à la mer,

mais un jour… a fait mouche !

C’est une étrange histoire…

On me la raconterait, que je n’y croirais pas.

Il était une fois… à l’aurore d’un autre jour,

une bouteille échouée sur le rivage

bien des années après que son auteur l’ait confiée à la mer.

Souveraine, la mer a ses raisons que la raison ignore.

Désormais il y a… avant La Lettre. Il y a… après La Lettre.

Ses mots, à la lettre m’ont transportée hors du temps et de l’espace.

Des années avant… Des années après…

Ici… Ailleurs… Peu importe, puisqu’il y a La Lettre !

Secrète messagère, elle a vogué au fil du temps

jusqu’aux confins, et dans l’exil m’a rejointe

Me dévoilant les trésors qu’elle seule abrite

et gracieusement me confie

M’insuffle mot à mot sa force vive à lire et à relire

M’anime d’une joie complice

M’offrant les liens les plus fidèles

Me livrant les pensées les plus secrètes

M’embarquant à bras-le-corps dans tous ses voyages…

passés, présents, à venir.

Au-delà de l’absence sa voix familière résonne en moi

pareille aux vagues de la mer

Qui viennent, s’en vont, mais toujours reviennent et me portent.

Avec ce bel aplomb, mine de rien elle me défie

de la prendre au mot

D’une touche elle m’invite au plus fou, au plus doux

des duels, croisant un instant les destins

Nourrissant le fol espoir d’une riposte salutaire,

d’un élan vital dans l’attirance des tropismes

Sans coup férir elle m’effleure au ralenti

Et m’invite à franchir des caps insoupçonnés.

De La Lettre je respire aujourd’hui le souffle puissant

et le sel des embruns

Avec La Lettre je partage le combat et l’audace

Au creux de La Lettre je lis la pudeur et la flamme

Au fil de La Lettre j’entends la force et la fragilité

Au cœur de La Lettre je devine le chaos et la grâce

Avant La Lettre j’ai longtemps cherché et douté dans l’exil

Depuis La Lettre j’apprivoise au jour le jour sa présence

À l’abri de ses mots qui m’accueillent

et me font une place pérenne

À La Lettre je suis secrètement reconnaissante

Car me voici libre, me voici vivante

Grâce à La Lettre

Qui ne m’était pas destinée

Mais dans ma vie un jour est entrée

Comme si toute vie nous devait ce précieux sésame

La Lettre capable de dire l’indicible, de murmurer les cris

De nommer et désigner, même en l’absence de nom et de visage

D’offrir l’hospitalité avant même la venue de l’hôte

D’adresser au destinataire inconnu les mots nus

capables de briser le silence de l’exil.

Oui, La Lettre valait mille fois la peine

D’avoir attendu intimement

Depuis toujours sans doute

Ce cadeau de la mer

Imprévu et gratuit

Qu’à mon tour je confie à la mer.

Souveraine, elle en prendra soin

De La Lettre

Le temps d’un autre voyage

Vers d’autres confins, d’autres rivages

Une autre nuit, un autre jour.