Nouvelle 6 :
Le fraisier
#lecturealamaison
Quel remède vivifiant et inattendu Violette va-t-elle trouver à son problème de solitude, la veille de ses 90 ans ?
Rien qu’à l’idée de devoir fêter son anniversaire dans trois jours, Violette sentait monter des bouffées de panique. Ça ne lui avait pas fait ça l’année précédente.
89 était un nombre qu’elle avait laissé passer sans état d’âme. Presque une formalité. Elle avait aimé tous les anniversaires qui commençaient par le chiffre huit. La forme parfaitement discontinue du huit la rassurait. Et quand elle avait fêté le double huit il y a deux ans, elle en avait éprouvé une sorte de fierté. Toute l’année elle avait adoré avoir 88 ans.
Or cette année elle n’arrivait pas à se mettre dans le crâne qu’elle allait franchir une nouvelle décennie. Elle détestait l’idée que le neuf allait définitivement piquer la place au huit dans la rangée des dizaines.
La panique était venue d’un coup, quand son fils lui avait demandé la veille au téléphone si elle voulait que le pâtissier décore le gâteau d’anniversaire avec le chiffre… 90 !
D’abord elle n’avait pas compris qu’il lui parlait de son propre anniversaire. L’espace d’un instant elle eut même un réflexe d’apitoiement pour la personne qui allait fêter cet âge canonique. Quelle horreur, la pauvre vieille ! pensa-t-elle instantanément. Et c’est seulement quand son fils lui reformula la question, qu’elle réalisa que… la pauvre vieille, quelle horreur !… c’était elle.
— Alors maman, qu’est-ce qu’on fait pour le gâteau ? Dans trois jours vous serez nonagénaire ! Il faudra d’ailleurs qu’on parle…
— … ?!
— Allô, maman, vous m’entendez ?!
— Oui, je ne suis pas sourde ! Mais cette manie de vouloir étiqueter tes contemporains… octo, nono, cento… tu comptes me faire une leçon d’algèbre ?! Tu sais, je suis capable de calculer mon âge sans qu’on vienne m’enquiquiner avec une leçon sur les dizaines !
— Bien sûr… Et pour le gâteau ?
— On est en mai. Un fraisier, comme d’habitude.
— Avec ou sans plaque de massepain décorée ?
— Sans rien du tout ! D’ailleurs je déteste le massepain. Ça fait grossir et ça colle aux dents.
— Maman, pensez-vous vraiment qu’à votre âge vous ayez encore besoin de vous soucier de votre ligne ?!
— A mon âge, je me soucie de ce qui me chante, mon garçon ! En tout cas pas de massepain sur le gâteau cette année ! C’est d’un ridicule tout ce décorum …
— Comme vous voudrez. Ah, au fait, pour jeudi… je viendrai seul. Virginie est en déplacement, et Vincent vous téléphonera de Princeton.
Violette de Saint-Chamas avait l’habitude d’entendre son fils unique lui débiter des sornettes pour excuser l’absence de sa femme Virginie lors de ses rares visites à la villa Les Glycines. Mais Violette ne se faisait plus d’illusion sur la cohésion familiale. Depuis que son unique petit-fils était parti étudier aux États-Unis, la famille ne se réunissait plus guère.
Son fils Thibault s’était marié tardivement. A 46 ans il avait soudain jugé urgent de s’assurer une descendance et avait épousé la plus jeune et la plus robuste recrue dans son cabinet d’avocats. Et il avait agi avec les mêmes critères de choix qu’un jardinier soucieux du rendement d’un plant de tomates. Mais question rendement, il avait été déçu. Après l’avoir fait papa à 47 ans, Virginie avait décrété qu’elle avait rempli sa mission et qu’un enfant ça suffisait comme ça. La belle plante avait d’autres préoccupations que la reproduction. Éviter les vergetures et gagner ses procès aux prud’hommes.
D’emblée Violette avait trouvé sa belle-fille sèche et antipathique. Elle avait bien essayé de faire des efforts avec elle, mais Virginie avait manifestement rangé sa belle-mère dans une catégorie doublement rédhibitoire à ses yeux: vieille et veuve. Devant la veuve de 70 ans la jeune et fringante promise de 28 ans n’avait pu s’empêcher de pincer le nez en gardant une distance de sécurité, comme si la vieillesse et le veuvage étaient des maladies contagieuses. Deux critères qui déclassaient à ses yeux toute personne à l’échelon de paria.
Violette avait tout de suite compris, à sa façon de la regarder, que sa belle-fille l’avait définitivement rangée dans la naphtaline. Et elle avait eu une pensée émue pour son feu mari Gaston, qui lui au moins avait échappé à ça. Voir leur fils faire un mariage de raison avec une petite parvenue qui s’intéressait à ses contemporains en fonction du retour sur investissement.
Aujourd’hui Violette aurait bien répliqué à son fils qu’elle n’en avait rien à fiche de jouer une énième fois la comédie annuelle du fraisier, qu’elle aurait de loin préféré fêter son anniversaire toute seule sous les glycines en fleurs de son jardin, en sirotant tranquillement son petit verre de guignolet. Mais rien qu’à l’idée de devoir supporter les protestations de convenance du fiston, elle avait déclaré forfait. Elle eut juste le courage de lui dire qu’elle se coucherait tôt, que la cérémonie du fraisier ne devrait pas dépasser 21 heures.
Violette, ce qu’elle aimait c’était écouter la radio la nuit dans son lit. Elle se couchait tôt, fermait les volets et écoutait la radio dans le noir. Se retrouver en compagnie d’une belle voix dans l’intimité de sa chambre, elle adorait. Elle avait grandi à l’époque des grandes heures de la radio, à l’époque des voix, pas des images. La télé, ça la fatiguait avec toutes ces images choc qui l’empêchaient de se faire son propre cinéma intérieur. Allongée dans l’obscurité de sa chambre, elle avait 16 ans. Elle avait 20 ans. Pas 90. Grâce à son petit cinéma intérieur, elle pouvait à l’envi revisiter les étapes de sa vie.
Gaston de Saint-Chamas, elle l’avait rencontré en 1942 dans un réseau de résistance à Nice. Elle avait 17 ans, lui 26. Presque tout les séparait. Elle, militante aux jeunesses communistes. Lui, issu de la grande bourgeoisie catholique, jeune officier entré dans la clandestinité pour servir le Général en exil. Mais très vite ils étaient tombés fous amoureux et s’étaient mariés à la Libération.
Avec Gaston elle avait vécu 51 ans de complicité évidente. Quand elle s’était retrouvée veuve à 69 ans, son fils lui avait demandé si elle souhaitait rester dans la villa des Glycines qu’ils avaient acquise dans les années soixante sur les hauteurs de Nice. Elle n’avait d’abord pas bien compris sa question. Il lui avait alors expliqué qu’à son âge il n’était pas raisonnable de rester seule dans la villa, qu’il pourrait se renseigner sur les résidences pour personnes âgées. Elle avait été tellement décontenancée par sa démarche, qu’elle lui avait raccroché au nez.
Depuis vingt et un ans qu’elle était veuve, son fils remettait régulièrement la conversation sur le tapis lors de la cérémonie annuelle du fraisier. Et elle résistait en faisant preuve d’une santé de fer. Sa façon à elle d’entrer en résistance face aux desseins de son fils, un homme sous l’emprise de sa femme.
La villa des Glycines était le seul endroit où elle se sentait bien. Avec la présence de Gaston dans toutes les pièces et aussi dans le jardin, surtout en été sous les glycines.
Se doutant que Thibault allait profiter de son 90e anniversaire pour la convaincre une nouvelle fois d’aller en résidence médicalisée pour qu’il puisse mettre en vente la villa, elle avait passé sa soirée à chercher des arguments pour le contredire. C’est vrai que le passage de la femme de ménage deux fois par semaine, ça commençait à faire juste. Certes elle était encore leste et autonome, mais elle sentait la fatigue la gagner quand elle s’activait dans la maison. Or elle s’était juré qu’elle ne quitterait la villa que pour une seule destination : le cimetière. Gaston était mort d’une crise cardiaque dans leur lit. Elle avait décidé qu’il en irait de même pour elle. Point final. Pas question d’aller finir sa vie en colo’ pour quatrième âge. Elle avait toujours détesté les colonies et les réfectoires.
Bien déterminée à ne pas se laisser faire, elle s’empara du journal pour éplucher les petites annonces. Il lui fallait trouver des idées pour une solution alternative, et elle parcourut la page consacrée aux recherches d’emploi. Même si elle savait que la pension de réversion de son mari ne lui permettait pas d’engager à plein temps une aide à domicile, elle commença à lire les annonces. Il y avait bien des auxiliaires de vie qui cherchaient du travail, mais à plein temps. Découragée, elle s’apprêtait à replier le journal, quand son attention fut attirée par un petit article en dernière page dont le titre l’intriguait. Le bien-vivre ensemble à Nice. Elle connaissait l’expression savoir-vivre, mais pas celle du bien-vivre ensemble. Et comme l’expression collait parfaitement à sa quête du moment, sa curiosité fut piquée au vif. L’association Solidarité-Réinsertion lançait un appel aux propriétaires niçois.
Services gratuits (ménage, jardinage, garde) contre hébergement gratuit pour aider à l’insertion post-carcérale.
La première moitié de l’annonce l’enthousiasma. La seconde ne l’effraya pas. Violette n’était pas femme à se laisser impressionner par le mot carcéral. La prison, elle avait connu avec son mari pendant la guerre. Un séjour carcéral de trois mois. La prison quand on y entrait, on rêvait d’en sortir. C’est ce qu’elle avait retenu. Et ça, elle se sentait l’envie de le partager. Sans hésiter, elle composa le numéro de téléphone de l’association. L’urgence pour elle c’était de trouver une solution avant la cérémonie du fraisier.
La personne de permanence au téléphone lui passa un travailleur social qui prit quelques renseignements sur sa situation personnelle. Quand il voulut savoir son âge, elle lui demanda si c’était bien important. Cette manie à vouloir connaître son âge avait le don de l’agacer. Toute contente de lui communiquer son âge avant le basculement tant redouté vers la nouvelle dizaine, elle nota cependant le silence prolongé de son interlocuteur. Quand il lui posa des questions sur son degré d’autonomie, elle mit un point d’honneur à lui énumérer toutes les tâches dont elle s’acquittait encore dans sa maison. Et quand il lui proposa de venir la voir le lendemain avec un candidat pour une petite visite informelle, elle ne put lui cacher sa joie. Il dut la calmer en lui indiquant que rares étaient les propriétaires qui s’engageaient après avoir fait connaissance avec les candidats. Il ne s’agissait pas non plus d’enfants de chœur, ces candidats avaient un casier judiciaire. Mais aucun argument ne pouvait décourager Violette quand elle songeait à la perspective de la cérémonie du fraisier.
Le lendemain elle se bichonna comme si elle attendait un prétendant. Elle mit du temps à choisir sa toilette, hésitant entre un tailleur strict et sa robe-chemisier parme en jersey. Elle était fière d’avoir gardé sa taille de jeune fille. Elle mit son collier de perles et les boucles d’oreilles assorties. En regardant le résultat devant son armoire à glace, elle se demanda un court instant si son fils ne s’était pas trompé de dizaine en lui parlant de son anniversaire.
Le moral au beau fixe, elle décida de faire un cake à ses visiteurs pour leur prouver son degré d’autonomie. Elle dressa ensuite la table sous la glycine comme s’il s’agissait d’un thé mondain. Vu l’enjeu de la visite, elle voulait mettre toutes les chances de son côté.
Quand retentit le carillon de la porte d’entrée, elle sursauta comme une jeune première qui attend l’arrivée du chevalier servant.
Sur le perron deux hommes la dévisageaient. L’un souriait. L’autre pas. Le visiteur souriant prit la parole pour se présenter.
— Bonjour Madame de Saint-Chamas. Je suis Alain Fournier, le conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation de Loïc. On vient vous rendre une petite visite.
Il s’avança pour lui serrer la main. Violette sentit à sa poigne chaleureuse et à son sourire complice qu’il ne la rangeait pas dans la naphtaline, lui au moins. Comme l’autre visiteur ne bronchait pas, elle décida d’écourter les présentations pour les faire entrer au plus vite avant qu’ils ne changent d’avis. Elle les emmena directement au jardin pour la cérémonie du thé. Autant le plus âgé avait le contact facile, autant le plus jeune avait l’air gauche et farouche. Son regard allait de ses baskets à la table, en évitant de croiser le regard de Violette qui s’affairait avec sa porcelaine de Chine comme si elle recevait deux vieilles copines de bridge. Le conseiller lui fit des compliments sur son jardin, et Violette voulut d’emblée les rassurer sur les tâches à faire, leur disant que c’était le travail du jardinier qui passait une fois par mois. Il jugea ensuite que le moment était venu de donner la parole à son jeune protégé.
— Loïc, tu veux bien parler de ton parcours ?
— Ben… j’ai vingt ans. Je sors de prison. J’ai pris quatre mois pour recel. Là je cherche du taf. Mais pour trouver du taf y faut un logement. Et comme j’ai pas de logement, je trouve pas de taf.
— Du taf… du travail…, crut bon de préciser le conseiller, en souriant à Violette.
— Ah mais ça tombe bien ! Justement j’en ai du… du taf… pour vous. Et la prison, je connais, j’en ai fait, rajouta-t-elle avec une petite pointe de fierté.
Les deux visiteurs se dévisagèrent incrédules. Le plus jeune commença à s’animer et lui lança :
— Alors vous avez un casier ?
— Moi c’était en 42 à cause du Général. Ça remonte à loin…
Le conseiller poussa un petit soupir de soulagement pendant que son protégé semblait calculer mentalement s’il y avait prescription pour le casier. Mais Violette le relança.
— Donc la prison c’est fini pour vous… et vous logez où en ce moment ?
— Au foyer de réinsertion pour ex-détenus… trop zarbi !
— Zarbi… bizarre…, précisa le conseiller.
Violette avait les yeux qui pétillaient de pouvoir enrichir son vocabulaire avec des mots qu’elle ne connaissait pas. Le conseiller semblait connaître tous les mots que prononçait son protégé et avait l’amabilité de les lui traduire.
— Oui, bien sûr, je comprends. Un foyer c’est… c’est zar-bi !
— Et ça consiste en quoi le taf contre le logement gratos ?
— Eh bien… je vais vous expliquer. En fait je suis encore bien autonome, mais j’aurais surtout besoin d’une présence dans la maison… au cas où…
— Où quoi… ?
— Au cas où… où je serais moins autonome dans les tâches du quotidien.
— Genre… faire la popote ? Je vous préviens, moi c’est pas Top Chef ! Plutôt William Saurin…
— William Saurin, c’est parfait ! Ils ont une blanquette de veau délectable !
Le conseiller ne put s’empêcher de sourire devant le zèle et la détermination de leur hôte. Il commençait à se dire que peut-être ça vaudrait le coup de faire un essai, même si tout les opposait en apparence, ces deux-là.
Alain Fournier suivait Loïc depuis un an. Déscolarisé à l’âge de 13 ans entre une mère alcoolique et un père en prison, il avait poussé tout seul dans la nombreuse fratrie. Tombé dans la petite délinquance à 16 ans, il avait connu l’escalade des petits délits jusqu’au recel d’ordinateurs. Le juge lui avait dit qu’à 20 ans, quatre mois à la case prison ça tombait à pic pour réfléchir en termes de… avant-après, avec à la clé un projet d’orientation. Qu’il le remercierait plus tard. Loïc lui avait répliqué « J’aime pas la gamberge et je vous dis pas cimer ! ». Depuis il avait eu tout le temps de gamberger à la case prison qui était loin de lui rappeler celle du Monopoly. Il n’arrêtait pas de penser à son père pour qui il n’y avait jamais eu d’après, avec des peines à purger qui s’allongeaient au fil des allers et retours en prison. Loïc avait alors décidé de profiter de son incarcération pour faire deux choses qui lui semblaient utiles : de la musculation et une formation de soudeur à l’arc. C’est Alain Fournier qui l’avait aidé à réfléchir à son projet de réinsertion et qui lui avait trouvé une place provisoire au foyer à sa sortie de prison. Mais une place d’apprenti soudeur serait plus facile à obtenir s’il trouvait un logement.
Voyant le conseiller songeur et le gamin à nouveau mutique, Violette demanda nerveusement :
— Alors… euh… on peut envisager le projet ? Le rez-de-jardin est indépendant et il est prêt …
— C’est à Loïc qu’il faut demander ça.
Violette n’avait qu’une peur. Que ses visiteurs repartent en la laissant seule avec la perspective du fraisier.
— Vous voulez bien visiter le rez-de-jardin, Loïc ?
Loïc était visiblement déstabilisé qu’elle ne prenne pas plus de renseignements sur lui, et que ce soit elle qui insiste sur sa venue, comme pour lui demander un service qu’il pourrait lui rendre en acceptant. Alors que lui, il avait compris que c’était l’inverse. Il se demanda s’il y avait un piège dans le projet, mais le foyer lui sapait trop le moral.
— On peut aller voir.
Du jardin ils se rendirent dans le studio construit sous la grande terrasse de la maison. La porte donnait sur le jardin et Violette lui indiqua qu’il pourrait profiter du jardin, qu’à cette saison la glycine embaumait. Loïc s’attendait à tout sauf à une visite immobilière. Il ouvrit de grands yeux quand il entra dans le studio en L. La lumière inondait la pièce par les grandes baies vitrées.
— Autrefois c’est mon fils qui l’occupait quand il était étudiant. Là vous avez un coin cuisine et à gauche une douche avec un w-c.
Loïc avait toujours partagé une chambre à plusieurs. Chez lui et en prison. Il commençait à se demander quel genre de services il allait devoir lui rendre pour bénéficier gratos de ce petit bijou.
Quand ils regagnèrent la maison, le conseiller lui expliqua qu’elle pourrait prendre Loïc quelques semaines à l’essai avant de signer la convention de réinsertion locative. Mais ce qui turlupinait Violette, c’était de savoir quand il pouvait emménager.
— Et quand pensez-vous… ?
Lui n’avait qu’une hâte, c’était de quitter le foyer. Il lança au culot :
— Ben… demain ?
Violette n’en croyait pas ses oreilles de voir son vœu se réaliser aussi vite. Elle lui tendit les deux mains pour le remercier, mais il en saisit une, comme pour conclure un marché avec la formule : ça marche !
En partant le conseiller informa Violette qu’il l’appellerait dans quelques jours pour savoir comment se déroulait la cohabitation. Quand elle referma le portail derrière eux, elle dut s’adosser un instant contre la grille, tant elle avait le cœur qui battait la chamade. Elle entendit alors la voix de Loïc au-dessus du mur.
— Putain, je le crois pas ! Je vais crécher chez Mamie Nova qu’a fait de la zonzon ! Respect, la yeuve !
Violette crut déceler de la joie dans ce qu’elle venait d’entendre, même si elle ne comprenait pas tous les nouveaux mots. Et cette joie-là, elle la partageait. Demain le garçon viendrait s’installer. Et après-demain ils seraient trois pour la cérémonie du fraisier. Et ça c’était une perspective qui lui changeait la vie !
Le lendemain en fin d’après-midi elle s’étonna de voir Loïc arriver avec un sac de sport pour tout bagage. Il lui répondit avec un clin d’œil qu’il avait appris à voyager léger dans la vie, des fois que le vent tourne !
Il faisait de grands gestes avec les mains en balançant le torse quand il parlait. Et elle lui trouva une certaine classe dans son survêtement noir et blanc. Elle le laissa s’installer et lui dit qu’elle l’appellerait pour le dîner. Il s’étonna qu’elle l’invite à manger à sa table, mais il se dit qu’elle avait peut-être besoin qu’on l’aide à manger.
Au dîner Violette avait préparé une pissaladière et une salade de fruits. Elle le regardait manger avec appétit et il reprit de tout en disant « c’est bon, ça change des plateaux-repas ! ». Il l’aida ensuite à débarrasser et à faire la vaisselle. Elle lui expliqua qu’elle se couchait très tôt et qu’il n’avait pas besoin de lui tenir compagnie le soir. Il sortit alors d’un sac plastique une boîte qu’il lui tendit.
— C’est quoi ?
— C’est Alain qui m’a dit que pour le deal je dois brancher le phone la nuit. Des fois que vous avez besoin d’aide.
— Comme un babyphone ? Mais c’est ridicule, je ne suis pas un bébé !
— Oui, mais ça fait partie du deal !
Il avait ce genre d’autorité bienveillante avec elle. Et elle se dit, pas comme Thibault qui voulait lui imposer des choses qui l’arrangeaient lui.
— Bon c’est entendu. Mais je vous préviens, la nuit j’écoute la radio.
— De la zik ?
— … ?
— De la musique ?
— Pas forcément. Je m’amuse à changer de station et quand une voix me plaît, j’écoute.
— Trop zarbi !
— C’est comme ça depuis que Gaston ne dort plus dans le lit.
— Il est mort?
— Oui, ça fait vingt et un ans.
— Ça fait perpét’ ! C’est chémo ! C’est… moche pour vous!
— Oui et non. Il est partout dans la maison et dans le jardin.
— Alors c’est cool !
— Et demain on aura de la visite. Mon fils Thibault vient avec le fraisier pour mon anniversaire. Il pense qu’à 90 ans je ne devrais pas rester seule dans la maison, mais aller en résidence.
— Ben maintenant vous êtes plus seule dans la maison. Vous avez un locataire !
— Justement ça tombe bien !
Loïc comprit à son sourire espiègle qu’elle avait besoin de sa présence dans la villa pour échapper à la maison de retraite. Ça il pouvait comprendre, lui qui avait vécu en communauté forcée. Quand il eut branché l’interphone dans sa chambre, il lui souhaita bonne nuit et regagna son nouveau refuge. Il brancha le deuxième interphone et se laissa tomber avec délice sur le grand lit. Jamais encore il n’avait eu droit à un-grand-lit-trop-la-classe !
Violette sentait une bonne fatigue après cette journée bien remplie et s’endormit avec la sensation délicieuse de ne plus être seule dans la maison. La petite lumière de l’interphone lui rappelait que pour la première fois depuis longtemps quelqu’un veillait sur elle.
Au réveil elle n’était plus angoissée par sa journée d’anniversaire et elle était soulagée que Loïc n’ait pas fait de commentaire sur l’âge qu’elle s’apprêtait à fêter. Quand elle arriva à 8 heures en peignoir dans la cuisine, il était en train de disposer deux bols. Au milieu de la table il avait mis une grappe de glycines dans un verre d’eau et lui dit que c’était pour son anniv’ mais qu’ils n’allaient pas non plus en faire tout un fromage. Elle ne put s’empêcher de rire. Un rire qui faisait du bien. Loïc aimait l’entendre rire, car dans son rire il entendait aussi qu’elle n’avait plus l’habitude de rire. Comme lui.
Après le rituel avec l’ami Ricoré, il lui annonça que c’était l’heure de faire du sport, que lui c’était de la muscu’, et il lui demanda ce qu’elle faisait comme sport pour se maintenir en si bonne forme. Quand elle lui répondit que ça faisait belle lurette qu’elle ne pratiquait plus aucun sport, il parut choqué et lui répliqua qu’il allait s’en occuper. Il lui raconta qu’en prison c’était lui qui concoctait des programmes personnalisés pour ses codétenus, qu’il aimait bien jouer au coach sportif. Violette ne voyait pas très bien ce qu’il pouvait lui concocter comme programme, mais elle le rejoignit au rez-de-jardin après sa toilette. Quand elle toqua à la porte, elle entendit une voix étouffée qui lui dit d’entrer. Loïc pendait à une barre de traction calée dans le cadre de la porte et faisait des tractions, jambes tendues et pieds croisés.
— Je finis ma série et je m’occupe de vous !
Elle s’assit sur une chaise pour le regarder faire. Elle était impressionnée par la musculature de son torse. Après sa série jambes tendues, il attaqua une série de tractions jambes levées. A chaque effort il laissait échapper des petits râles, et Violette souffrait pour lui en le voyant grimacer et suer. En tout cas, pas de cochon pendu pour elle, sinon elle lui rappellerait son âge. Mais le roi de la muscu’ avait d’autres plans pour Violette. Après s’être épongé le visage, il s’avança vers elle pour lui annoncer le programme.
— Non, non, vous levez pas ! Les exo qu’on va faire, c’est assis. On va travailler la souplesse et la tonicité. Et aussi la respiration.
— Mais peut-être que je suis trop… trop vieille pour faire de la gymnastique ?
— L’âge, c’est pas que le corps. C’est aussi dans la tête. Moi en prison je me sentais vieux. C’est pour ça que je me suis mis à faire du sport comme un ouf ! Le sport ça nettoie le mental.
— Alors un tout petit nettoyage… pour voir si j’y arrive.
— Ça marche ! Bon, d’abord on va laisser pendre les bras le long du buste, tout relâché. Oui, comme ça, c’est bien.
Il vint se placer derrière elle et posa ses mains de part et d’autre de sa nuque. Elle tressaillit légèrement. Ça faisait longtemps que personne ne l’avait touchée.
— Et maintenant on va respirer ensemble. On se tient bien droite et on inspire profondément par le nez en ouvrant la cage thoracique. On bloque une seconde, après on expire lentement par le nez en laissant retomber les épaules. Bien ! Encore une fois, lentement. Oui ! Allez, on se fait une série de cinq !
Il enchaîna ensuite avec des mouvements d’assouplissement de la nuque et des épaules. Violette avait le regard qui pétillait sous les encouragements qu’il scandait en rythme. La force vitale qu’il dégageait lui faisait l’effet d’un cocktail vitaminé dans son corps fatigué.
Après leur séance de sport, Loïc devait se rendre à l’association Solidarité-Réinsertion où il avait rendez-vous avec son conseiller pour travailler son CV et ses lettres de motivation. Quand Violette lui demanda s’il serait de retour pour la cérémonie du fraisier, il comprit à son regard que c’était important pour elle de ne pas se retrouver seule face à son fils pour souffler ses bougies. Lui non plus n’aimait pas les fêtes d’anniversaire. Trop de souvenirs au parloir sous prétexte que sa mère voulait fêter en famille. Rien que d’y penser, ça lui fichait la nausée. Alors il voulut la rassurer.
— Vous bilez pas pour la p’tite teuf, on va assurer tous les deux devant le fiston !
— Mais mon fils a une femme qui a de la suite dans les idées. Et lui aussi peut se montrer très persuasif. Il a l’art et la manière ! Il est avocat, et sa femme aussi.
— Y a pas que les avocats qu’ont de la suite dans les idées ! Nous deux aussi on a de la suite dans les idées, on a fait de la zonzon, pas vrai ? !
— … ?
— Zonzon… prison !
— Ah oui ! D’ailleurs je ne sais pas si on va lui dire que vous avez fait de la… zon-zon. Thibault est un peu…
— Un peu quoi ?
— Un peu…sourcilleux. Je ne veux pas débattre de réinsertion avec lui.
— Et qu’est ce qu’on va inventer comme bobard ?
— Eh bien… on n’a qu’à dire que vous êtes… aide-soignant.
— Pourquoi pas médecin tant qu’on y est !
— Bon, on verra bien ! Peut-être qu’il ne demandera rien !
— Pour sûr qu’il demandera ce que je fous là avec ma tronche de RSA!
— Eh bien moi je l’aime bien votre… tronche. C’est ce qui compte, non ?
— … ?! Moi aussi… je l’aime bien, votre petite tronche !
— Bon, allez vite à votre rendez-vous, sinon on va finir par se faire des déclarations d’amour !
Il partit d’un grand rire déluré et souleva son t-shirt en pointant deux doigts sur la région du cœur où Violette découvrit un tatouage de cœur brisé.
— Question palpitant, faudra s’accrocher, ma jolie, pour recoller les morceaux !
Et il sortit en tournoyant sur lui-même, les mains sur le cœur, comme s’il jouait une sortie de scène dans un mélo muet.
Violette aimait son énergie quand il bougeait, riait et parlait. Ça contrastait avec son air mutique de la veille lorsqu’il avait franchi le seuil de la maison. Et en dépit du cœur brisé qu’il lui avait dévoilé, elle trouvait qu’il en avait du cœur, dans sa façon d’être avec elle. Par-dessus tout elle aimait son sens de l’autodérision et sa gaieté exubérante, sans jamais s’apitoyer sur son sort. En tout cas ça faisait longtemps qu’elle n’avait pas entamé une journée d’anniversaire l’âme aussi guillerette, et elle décida de ne plus penser à la nouvelle dizaine sur le fraisier.
Après son déjeuner elle s’octroya du bon temps sous les glycines et voulut partager avec son cher absent ce qui lui réjouissait le cœur depuis un jour, lui faisant une description détaillée du nouvel habitant de leur maison. En fin d’après-midi c’est le carillon du portail qui la tira de sa somnolence. Elle s’extirpa de sa chaise longue pour aller ouvrir. Loïc affichait un sourire complice pour lui rappeler qu’ils étaient de mèche pour un plan.
— Alors, on a été sage pendant que je faisais mes devoirs ?
— Très sage. Je me suis reposée sous les glycines… avec Gaston.
— Un rencart sous les glycines, trop la classe! Et vous lui avez causé du nouveau locataire ?
— Oui. Et je crois bien qu’il approuve la cohabitation !
— Bon, au moins on a un supporter en attendant d’affronter le fiston !
Violette était heureuse de pouvoir évoquer son cher Gaston dans leurs conversations. Loïc ne la jugeait pas dans ses petites manies avec son cher absent. Il avait assez de poésie pour ça. Le manque et l’absence, il connaissait dans sa vie. Il se disait que chacun gérait le manque comme il pouvait. Que Violette éprouve le besoin de causer à son défunt mari, ne l’étonnait pas plus que ça. Lui aussi il causait parfois à son père absent, surtout quand il ressentait de la colère. Car derrière la colère il y avait aussi de l’amour.
Plus l’heure du dîner approchait, plus il sentait Violette à cran. Pendant qu’il mettait le couvert pour trois dans la salle à manger, elle avait mis un rôti au four et lavait la salade. Pour l’aider à se détendre, il lui demanda où elle cachait ses bouteilles d’apéritif. Alors pour se donner du courage avant la cérémonie, ils s’enfilèrent trois petits verres de guignolet.
Quand le carillon retentit à 20 heures pile, Loïc la vit prendre une grande inspiration avant de rappeler le programme de la soirée.
— C’est le fraisier !
Loïc commençait à se demander quel rôle le fraisier allait jouer dans la bataille. Il avait assisté à tant de batailles dans sa vie, qu’une de plus ou de moins, ça ne ferait aucune différence. Mais il était curieux de voir ce fils dont la visite déclenchait une panique incontrôlée chez la mère.
Violette revint avec une boîte à gâteau qu’elle portait en affichant une moue appuyée. Son fils la suivit dans la salle à manger et quand il vit trois couverts sur la table, il parut surpris.
— Maman, vous avez oublié que Virginie était en déplacement ?
— Non, pas du tout. Mais nous avons un invité surprise ce soir !
Et elle se tourna fièrement vers Loïc qui se tenait un peu en retrait. Il s’était légèrement raidi en voyant arriver un homme qui lui rappelait l’époque où il fréquentait les tribunaux. Pas seulement à cause du code vestimentaire, mais en raison du mélange de prestance et d’assurance. Le flair toujours en alerte, Loïc reconnut ce regard qui disait au monde : Je fais partie de la caste des gagnants, je ne connais pas le doute !
En apercevant Loïc, le fils s’immobilisa, mit les mains dans ses poches de pantalon en oscillant légèrement sur place dans ses mocassins Church’s, et il détailla l’invité de la tête aux pieds. Loïc avait l’impression de passer aux rayons X. Par effet de mimétisme, il mit à son tour les mains dans ses poches – de jogging – et se mit à osciller sur place dans ses baskets.
C’est Violette qui brisa le silence.
— Eh bien, je te présente Loïc. Loïc, je vous présente mon fils Thibault.
Comme Loïc ne semblait pas vraiment décidé à retirer les mains de ses poches pour se jeter dans la gueule du loup, le fils garda aussi les mains dans ses poches en accentuant son oscillation.
— Loïc …?!
— Oui. Loïc est depuis hier mon locataire !
— Votre locataire …?!
La voix était exagérément suave et contenue. Loïc commençait à se demander si ce fils ne parlait qu’en formulant ses questions avec les derniers mots de son interlocuteur. Il voyait à sa figure crispée qu’il tentait de contrôler la gamberge qui lui explosait le cerveau. Il décida alors d’y aller franco.
— Oui, moi c’est Loïc ! Votre mère et moi… on a un point commun. On est du genre… résistants. Donc ça peut coller, la cohabitation.
— Résistants… ?!
Loïc fut surpris qu’il n’ait pas repris le dernier mot de sa phrase pour poser la question suivante. Il se dit qu’il changeait peut-être parfois de tactique.
— Yep ! Des résistants. On n’a pas peur de se battre pour rester en liberté.
— C’est-à-dire… ?!
Loïc commençait à perdre patience devant son air condescendant et cet interrogatoire du bout des lèvres. Il aurait de loin préféré un vrai fight, mais il n’avait pas l’intention de se laisser démonter par son interlocuteur tiré à quatre épingles et qui le regardait comme s’il portait un vieux pyjama de chez Emmaüs.
— Genre, elle et moi on veut pas finir en colo derrière des barreaux !
À la tête que faisait son fils, Violette décida de faire diversion.
— Venez m’aider tous les deux à chercher le rôti ! On ne va pas rester debout toute la soirée, on pourra bavarder à table.
Ils la suivirent dans la cuisine, chacun gardant l’autre dans sa ligne de mire pour ne pas baisser sa garde. Et Violette jugea plus prudent de prendre la place d’arbitre entre les deux. Elle décida d’occuper son fils avec la découpe du rôti et en profita pour reprendre la parole.
— Loïc est pour moi une présence précieuse dans la maison, ça devrait te rassurer.
— Me rassurer …?!
— Oui. Puisque tu t’inquiètes de me savoir seule dans la maison.
— Vous auriez au moins pu me consulter. Je ne connais pas ce… garçon. Je ne vois pas en quoi sa présence dans la maison peut me rassurer !
— Mais moi, sa présence me fait du bien. Il est plein de talents. C’est un grand sportif et il peut m’aider à faire des exercices!
— Parce qu’à votre âge vous comptez vous mettre au sport ? Je vous rappelle quand même que vous fêtez aujourd’hui vos 90 ans!
Loïc sentait monter l’envie d’en découdre et il faisait des efforts pour se contenir.
— À 90 ans on n’est pas une momie ! Votre mère, elle est encore en bonne forme ! Et les exercices d’assouplissement qu’on a faits ce matin, c’est que du bonus pour elle !
— Alors comme ça vous êtes un… un coach sportif ?
— On va dire que je suis du genre polyvalent.
— Vous devez avoir un CV impressionnant…!
— Justement j’y bosse sur mon CV.
— Quand il sera prêt, j’aimerais y jeter un coup d’œil… si ça ne vous ennuie pas.
— No problémo !
La tension dans le rapport de force était descendue d’un cran depuis que le fils avait intégré l’aura sportive du protégé de sa mère.
La soixantaine bedonnante, il rêvait de se payer un coach sportif pour perdre le surpoids qui l’empêchait de se sentir bien dans son corps et dans sa tête. Et c’est d’un œil nouveau qu’il se mit à reluquer la tenue intégrale Nike de Loïc. Sa masse musculaire saillant sous le tricot noir et blanc lui en imposait autant que son sens de la répartie, même s’il ne saisissait pas très bien son histoire de résistants. Il se dit qu’il allait creuser l’affaire, mais en attendant il décida de calmer ses nerfs avec le grand cru classé qu’il avait apporté. Quand arriva le moment d’attaquer le fraisier il était mûr pour entonner avec Loïc un Happy Birthday aux accents rap. Et Violette révisa ses préjugés contre le fraisier qui avait ce soir une saveur nouvelle.
Trop imbibé pour reprendre le volant après la cérémonie du fraisier, Thibault se vit contraint de dormir sur le canapé. Ce soir-là Loïc borda la mère et le fils.
Au fur et à mesure que la bouteille avait décliné, il avait vu l’avocat fendre l’armure et avait été surpris de découvrir que lui aussi avait ses failles et ses blessures, tout gagnant qu’il était. Mais Loïc ne se faisait pas d’illusion pour ce qui était du réveil, quand il faudrait l’affronter totalement dégrisé. Il décida de puiser des forces dans le sommeil pour être réactif sur le ring le lendemain.
C’est l’interphone qui le tira de son sommeil à 4 heures du matin. Il mit quelques instants à réaliser qu’au milieu des grésillements, c’est son nom qu’il entendait. Quand il arriva dans la chambre de Violette, elle était recroquevillée dans son lit et respirait bruyamment.
— Je suis désolée de vous réveiller… j’ai fait un cauchemar et je n’arrive pas à… à me calmer.
— Ben… vous appelez et me voilà ! Vous vous rappelez, ça fait partie du job !
Il s’assit au bord du lit et vit qu’elle était trempée de sueur.
— Les cauchemars je connais ! La nuit ça vous secoue le corps et la tête. Ensuite y a plus qu’à dépolluer la zone !
— Je me sens misérable…
— Normal. Ça va passer. On va faire ce qu’il faut !
Il se rendit dans sa salle de bain et revint avec un gant de toilette et une serviette.
— Cauchemarder ça vous trempe, ça vous essore. On va sécher tout ça !
Il l’aida à se redresser contre ses oreillers et lui passa le gant sur le front et dans la nuque. Elle se laissa faire et s’essuya avec la serviette.
— Et maintenant on va se faire une petite série d’exo pour respirer. Juste pour dépolluer le mental !
Il lui montra comment pratiquer la respiration abdominale pour évacuer l’angoisse. Violette ferma les yeux et cala sa respiration sur celle de Loïc. Elle écoutait son souffle et repensa à sa propre mère qui venait la calmer, enfant, quand elle n’arrivait pas à dormir à cause des bombardements. Ça faisait très longtemps qu’elle n’avait pas pensé à sa mère et elle lui manqua furieusement. Elle sentit alors les larmes couler sous ses paupières closes et s’étonna de ne rien tenter pour les refouler. La voix de Loïc lui prodiguait à peu près les mêmes conseils que sa mère.
— C’est bien, Violette. Faut ouvrir les vannes quand c’est trop plein ! Les larmes ça purge.
Et elle s’endormit en pensant à sa mère.
Quand Loïc quitta la chambre, il vit de la lumière sous la porte du salon. Il hésita à aller voir ce que fabriquait le fils à cette heure-là.
Il ne sut comment interpréter ce qu’il découvrit. Le fils était assis sur le canapé, les coudes sur les genoux, la tête dans les mains. Il se balançait d’avant en arrière en gémissant. Loïc faillit refermer la porte, mais ce genre de posture, il l’avait trop pratiquée la nuit en prison pour en ignorer la douleur.
— Oh, ça va pas ?
Le fils leva vers lui un regard hagard. Il avait perdu toute sa superbe de la veille et ressemblait plus à un perdant qu’à un gagnant.
— Je vous ai entendu avec ma mère. C’est vous qu’elle a appelé. Pas moi.
— Ben, ça fait partie du job.
— Bien sûr… mais il y a autre chose. Elle a confiance en vous, alors qu’elle vous connaît à peine. Vous savez quoi faire avec elle. Moi je ne sais pas. J’ai tout faux.
— Savoir quoi faire avec sa mère, c’est plus difficile qu’avec une autre personne.
— Vous savez quoi faire avec votre mère, vous ?
— Ben non, justement. Je sais pas faire avec ma mère.
— C’est pour me rassurer que vous dites ça ?
— Non. Ma mère elle est dans son monde.
— C’est-à-dire ?
— L’alcool.
— Et votre père ?
— Dans son monde à lui.
— C’est-à-dire ?
— Derrière les barreaux. Chacun sa zonzon.
— Sa quoi ?
— Sa prison.
— Chacun sa prison… Oui, la formule est bien trouvée ! En prison… dans ma tête. C’est comme ça que je me sens à chaque fois que je me réveille.
— Elle ressemble à quoi votre prison ?
— Au travail comme chez moi, je me sens en prison. C’est pas la vie dont je rêvais. Je ne sais même plus quand ça a commencé à dérailler. Les mauvais choix ça ne se rattrape pas.
— Et la résistance ?
— C’est quoi cette histoire de résistance ?
— Si t’entres pas en résistance, t’es mort.
— Et comment vous entrez en résistance, concrètement?
— Dans ma tête et dans mon corps. Je me prépare mentalement et physiquement.
— Avec le sport ?
— Yep ! Mais pas dans le genre loisir. Dans le genre endurance.
— Et quel sport vous pratiquez pour avoir le corps et le mental d’un super-héros?
— La muscu’ ça me donne l’endurance, et la boxe ça canalise ma rage.
— Des sports extrêmes. C’est rien pour moi.
— Vous faites pas de sport ?
— Non. Je devrais… mais rien que d’y penser, je suis découragé. Et quand je me regarde dans la glace, j’ai la nausée.
— Faut pas subir, faut résister !
— C’est facile à dire quand on a votre âge… mais pour moi les dés sont jetés depuis longtemps…
— L’âge c’est dans la tête. Moi en prison je me sentais très vieux… Ça vous dirait un petit programme personnalisé pour entrer en résistance ?
— Vous êtes sérieux ?
— Des fois que vous passez demain soir, on se fait une petite séance !
— De torture …?!
— Yep ! Résister c’est aussi se coltiner à la peur et à la douleur!
— Alors je vous préviens, il y a du boulot dans mon cas !
— Les défis ça me fait pas peur.
C’est la nuit avec son lot d’angoisses qui les avait rapprochés. Les angoisses nocturnes, Loïc connaissait. Il avait flairé cette nuit-là ce point commun entre eux, même s’il était surpris qu’un golden boy de 60 ans puisse partager ça avec lui. Et il réalisa soudain qu’ils partageaient ça tous les trois, mais que la mère et le fils n’avaient jamais pu communiquer sur leurs angoisses respectives. Parce qu’elle était la mère, et qu’il était le fils. Tout comme lui-même était incapable de communiquer avec sa propre mère. Et il comprit qu’il avait aussi ce point commun avec le fils.
Au petit-déjeuner il ne fut pas question des insomnies respectives. En partant, le fils avait dit d’un ton anodin à sa mère qu’il passerait au dîner pour auditer le coach sportif. Violette avait montré des signes de nervosité devant le zèle de son fils, mais Loïc lui avait lancé un petit clin d’œil rassurant.
Il avait passé sa journée à faire la queue pour des entretiens d’embauche, mais quand il voyait la tête que faisaient les patrons en découvrant dans son CV la ligne casier judiciaire et peine de détention, il ne se faisait pas trop d’illusions d’être rappelé, en dépit de quelques encouragements polis. Ce soir en rentrant chez Violette il lui faudrait sa dose de sport pour évacuer toute la rage rentrée.
Il ne s’attendait pas à ce que ce soit le fils qui lui ouvre la porte et il mit quelques secondes à le reconnaître. L’avocat tenait la pose en jogging et baskets, le tout estampillé du petit crocodile vert. Loïc tenta de masquer sa surprise.
— Déjà prêt pour faire morfler le croco ?!
— Je crois qu’on va devoir y aller doucement, le crocodile sort tout juste de l’emballage.
— Justement il va devoir mouiller le maillot !
Avant la dînette à trois, Thibault suivit le nouveau locataire dans cet antre qui lui rappelait ses années d’étudiant. Une époque pleine de promesses d’avenir pour le brillant étudiant qu’il était alors. Quarante ans plus tard sa vie lui donnait l’impression de patauger dans un vieux bouillon rance, et il avait perdu ses illusions sur lui et les autres. Il regardait son improbable coach au corps et au mental de battant qui pétait la jeunesse et la forme, et il l’envia en dépit d’un parcours qu’il devinait chaotique.
À l’étroit dans son survêtement qu’il avait choisi à dessein une taille trop petite pour se motiver à perdre du poids, il essayait de se persuader que la grinta de son coach allait le placer sur une nouvelle orbite.
Quant à Loïc il savait que pour cette première séance, il devait l’aider à travailler son estime de lui qui était au plus bas. Sur son enceinte bluetooth il programma en boucle un son à la hauteur de la mission. Believer du groupe Imagine Dragon. Un morceau dont le rythme et les paroles l’avaient accompagné en prison quand il suait sang et eau sur son programme draconien de muscu’.
L’objectif du jour était de faire entrer le fils en résistance. Et pour ça il devait recouvrer la foi en lui. Les paroles de la chanson, il en avait fait son mantra en prison. Il voulait lui apprendre à tenir la barre pour devenir le maître de son océan. Lui, la douleur l’avait brisé et reconstruit. Et c’est la douleur qui l’avait amené à devenir un résistant pour recouvrer la foi en la vie.
Pour brûler les graisses, il l’entraîna dans un enchaînement en quatre étapes de burpees. D’abord lents, puis plus rapides pour l’amener à tester son endurance et sa résistance à la douleur. Sans la voix encourageante de son coach, Thibault aurait jeté l’éponge au bout de cinq minutes, tant les efforts à fournir lui paraissaient à la limite du supportable. Et comme il ne voulait pas déclarer forfait dès la première séance, il alla puiser dans ses ressources profondes pour endurer les trente minutes de torture.
Les dix dernières minutes consacrées à des exercices d’étirement et de respiration lui permirent d’effacer le masque de douleur sur son visage. Jamais il n’avait expérimenté ce genre de défi physique et mental en poussant ses limites aussi loin. Seul, il ne s’en serait pas senti capable. Et il savait qu’il le devait à son coach dont le mental était de fait une machine à résister.
Sous la douche il laissa libre cours à des larmes de victoire, même s’il était conscient que le chemin serait long pour se forger un corps et un mental de résistant.
Après la dînette il prit sa mère de court en lui annonçant qu’il dormirait sur place. Que ça l’arrangeait car il avait un client à voir en ville le lendemain matin. Et son organisation dans les jours qui suivirent semblait indiquer qu’il avait une ribambelle de clients à voir en ville chaque matin.
Dans la villa des Glycines chaque fin de journée était désormais rythmée par le même rituel. Séance de sport, dînette, scrabble, coucher à 21h30. Les Glycines abritaient désormais trois dormeurs, au lieu d’une dormeuse esseulée. Et cette nouvelle configuration emplissait Violette d’une joie secrète. L’antagonisme initial de ses deux résidents s’était peu à peu mué en une complicité pudique. Et le lien qui unissait les trois résistants n’était jamais commenté. Ce que chacun donnait et recevait dans cette cohabitation répondait à un besoin de géométrie triangulaire où les échanges palliaient les carences affectives de chacun.
Le septième jour de cette cohabitation à trois, Thibault arriva avec deux grosses valises. La raison qu’il donna à sa mère tenait en trois mots.
— Besoin de souffler.
Violette supposait que son couple y était sans doute pour quelque chose, mais elle s’abstint de tout commentaire. Et Loïc lui dit que le souffle était essentiel quand on entamait un marathon.
Les séances de sport avaient pris une nouvelle dimension pour Thibault qui employait ses forces à se battre contre la médiocrité d’un destin auquel il voulait redonner du sens.
Il avait rencontré Alain Fournier pour signer la convention locative de Loïc, et ils avaient échangé sur son parcours et ses perspectives d’avenir. Impressionné par l’adversité qui avait forgé le mental du gamin, Thibault avait contacté un ancien client qui possédait une entreprise de BTP et qui acceptait de le prendre à l’essai sur un chantier.
Le rituel de la dînette à trois permettait à chacun de retrouver le soir un ancrage affectif pour continuer à avancer dans leur recherche respective de dignité. Violette avait fini par se dire que la nouvelle décennie n’était pas si douloureuse que ça. Et la nouvelle dizaine, elle commençait à bien l’aimer.
Un soir qu’ils étaient tous les trois en train de dîner, le carillon du portail se mit à tintinnabuler. Violette leva un sourcil en signe d’étonnement pour la bonne raison qu’elle n’attendait jamais personne. Loïc se proposa d’aller ouvrir. Quand il revint accompagné d’une femme à la quarantaine très soignée, il vit les mines de Violette et Thibault se crisper légèrement.
— Bonsoir. Je voulais juste m’assurer par moi-même que mon mari disait vrai quant à son hébergement provisoire… j’avais des doutes… avec cette histoire de coaching sportif… pour quoi… et pour qui ?!
— Mais Virginie ! pour moi … tout simplement ! D’ailleurs je te présente mon coach… Loïc.
— Ah, parce que le coach aussi… il… il loge ici ?! Il ne manquait plus que ça… tu… tu t’intéresses aux… aux garçons maintenant !
Violette décida de prendre les choses en main pour tenter de calmer la panique incontrôlée qu’elle entendait dans la voix de sa belle-fille.
— Calmez-vous Virginie. Loïc est mon locataire depuis un mois. Il me rend de précieux services. Grâce à sa présence je peux continuer à vivre dans la villa.
Loïc avait fini par comprendre qu’il avait ouvert la porte à une femme qui soupçonnait son mari de la tromper. Mais jamais encore on ne l’avait assimilé à un rival gay. Il jugea donc urgent de lever le soupçon.
— Vous bilez pas, je suis pas du genre à me faire enculer, même si en zonzon y en a qui ont voulu essayer. Moi j’aime que les meufs, même si ça fait un bail que j’ai pas baisé.
Après cette mise au point sans appel sur l’orientation sexuelle du coach de son mari, l’épouse se laissa tomber de soulagement sur la quatrième chaise de la tablée. Violette s’empressa d’aller lui chercher une assiette, des couverts et un verre. Thibault lui remplit l’assiette de taboulé, assuré qu’elle ne parlerait pas la bouche pleine de semoule. Et Loïc lui versa du Bandol à 17 degrés, certain qu’il cognait fort. La furie se rua sur la nourriture et la boisson comme si elle sortait d’un mois de carême pendant que le trio la regardait calmer sa gamberge qui avait dû la faire monter très haut dans les tours pour débarquer ainsi sans crier gare chez sa belle-mère qu’elle évitait en temps ordinaire. Enfin repue et calmée, l’ogresse laissa échapper malgré elle un rot tellement sonore que Loïc crut bon de la mettre à l’aise.
— Au réfectoire on faisait des concours de pets et de rots. C’est Rudi qui gagnait pour le bruit et l’odeur !
— Je vous rassure, ça ne fait pas partie de mes habitudes ! Je vous prie de m’excuser, j’ai dû avaler trop vite…
— Ben moi je trouve que vous vous débrouillez plutôt bien pour une débutante… Rudi y peut aller se rhabiller !
— Sans vouloir vous froisser, je crois que j’ai des choses plus urgentes à faire que de rivaliser avec… avec Rudi !
En guise de réponse Loïc lui remplit à nouveau son verre, se disant qu’elle avait encore besoin de se détendre un peu. Et elle le vida presque automatiquement comme si elle exécutait un ordre tacite. Thibault n’eut même pas le temps de préciser que sa femme n’avait pas l’habitude de boire d’alcool, que déjà elle avait vidé le verre comme s’il s’était agi de grenadine.
L’atmosphère de la soirée s’en trouva rapidement impactée, et les sujets de conversation passaient joyeusement du coq à l’âne, jusqu’à ce que Thibault se rende à l’évidence. Virginie n’était pas en état de reprendre le volant pour rentrer à la maison. Et comme il ne se sentait pas prêt à regagner le domicile conjugal avec elle, il l’aida à prendre la direction d’une des chambres pendant que Loïc aidait Violette à débarrasser la table. Ne voyant pas revenir Thibault, Loïc et Violette décidèrent d’aller se coucher.
À trois heures du matin Loïc se réveilla en sursaut. Il chercha à tâtons l’interphone pour identifier les bruits qui l’avaient réveillé, mais n’entendit rien. Pensant avoir fait un cauchemar, il se rallongea dans le noir et dressa l’oreille. Ce qu’il entendit alors ressemblait bien à une voix de femme, mais elle lui sembla nettement plus jeune que celle d’une nonagénaire. Juste au-dessus de sa chambre, une voix féminine criait « encore-t’arrête-pas-encore-t’arrête-pas », et une voix masculine lui répondait « chut-pas-si-fort-on-va-réveiller-ma-mère ».
Loïc se dit que le sport pour certains, le Bandol pour d’autres, avaient parfois des effets insoupçonnés. Il réussit cependant à se rendormir sans problème pour la bonne raison que la femme avait suivi l’injonction du mari.
Au petit-déjeuner Virginie fit des efforts manifestes pour se rapprocher de sa belle-mère. Elle tâtait le terrain pour savoir si elle n’allait pas venir dîner une fois par semaine à la villa et prendre des nouvelles de la charmante cohabitation.
Loïc se demandait de quelle cohabitation elle parlait. Familiale ou conjugale. Et Violette en profita pour lancer une invitation.
— Jeudi prochain c’est l’anniversaire de Thibault. On pourrait fêter ça ici tous les quatre !
Trop reconnaissante que sa belle-mère l’intègre dans ce petit cercle qui ne cessait de l’intriguer, Virginie proposa spontanément d’apporter le gâteau d’anniversaire.
Les cinq jours qui suivirent, Thibault redoubla de motivation pendant les séances de sport, et Loïc se fit un plaisir de lui faire travailler l’endurance extrême, anticipant l’exercice physique qui l’attendait d’après lui le soir de son anniversaire pour calmer les appétits de l’ogresse.
Le jeudi Thibault était rentré plus tôt avec les courses pour préparer le repas d’anniversaire avec sa mère. Il s’était mis en tête de cuisiner une pintade aux morilles. Et il décréta qu’il sauterait exceptionnellement la séance de sport… pour-être-en-forme-au- dîner. Loïc corrigea mentalement : pour-être-en-forme-après-le-dîner.
La dernière fois que Violette avait eu l’occasion de cuisiner avec son fils, ça remontait au décès de son mari. Thibault avait alors pris l’habitude de venir cuisiner tous les dimanches avec sa mère pour essayer de la consoler comme il pouvait. Et le poulet aux morilles avait semblé lui redonner l’appétit qu’elle avait perdu. Le mariage tardif de Thibault avait ensuite mis un terme à ce rapprochement.
Violette savourait secrètement le rituel retrouvé, et son fils lui semblait rajeuni de quelques années. En trois semaines de sport quotidien, il avait perdu du poids et pris du muscle. Mais c’est dans sa tête que le changement était le plus frappant. Il paraissait moins coincé, plus détendu.
Quand retentit le carillon, il sursauta et missionna Loïc d’aller ouvrir à sa femme. Dès que Violette la vit débarquer dans la cuisine avec une boîte du pâtissier, elle espéra en secret que ce ne soit pas un fraisier.
La pintade aux morilles régala les papilles et le champagne délia les langues. Loïc s’occupait de remplir discrètement, mais régulièrement, la coupe de Virginie qu’elle sifflait comme de la limonade. Après la troisième coupe, sa main gauche disparut soudain sous la nappe, et Loïc guettait la mine de son mari qui manifesta des signes de fébrilité croissante.
Quand arriva le moment du gâteau, Virginie s’élança direction la cuisine en scandant à tue-tête: « la-surpriiiiiiiiise-la-surpriiiiiiise ! »
Les trois autres se gardèrent bien de lui emboîter le pas, tant elle semblait imprévisible dans ses réactions, d’habitude totalement sous contrôle. Ils l’entendirent s’agiter dans la cuisine en parlant toute seule. Soudain elle poussa des petits cris d’excitation, puis se mit à chuchoter.
Après un temps qui leur parut interminable, le gâteau d’anniversaire fit son entrée. Virginie avait éteint toutes les lumières, et le gâteau semblait avancer tout seul sous la lueur des bougies. Un gâteau au chocolat en forme de cœur avec deux bougies figurant le chiffre six. Chacun retenait son souffle jusqu’à ce que la surprise se mette soudain à chanter.
— Happy birthday to you, daddy !
Cette nuit-là la villa des Glycines abrita cinq résistants qui avaient chacun une bonne raison de se réconcilier avec les fêtes d’anniversaire. Quant à la vétérane des lieux, elle s’endormit sur ses deux oreilles de zadiste, avec un avant-goût de victoire pour sa zone à défendre.